Sergueï Wolkonsky
Né en 1966.


Salle N° 6

Série Topographie des regards, Sans titre, 2008
10 photographies, tirages numériques - 40 x 60 cm

Dans la prison des images, janvier 2011
Tirage numérique 2000 ex, 60x80 cm


Série Topographie des regards, Sans titre, 2008

 

DANS LA PRISON DES IMAGES

Il n’y a que les mauvais photographes qui soient libres, mais la liberté de voir ne leur appartient pas en propre. C’est une liberté dans le désert. A quoi peut-elle leur servir, s’il n’y a rien autour d’eux, sinon la possibilité d’errer à travers des visibilités illusoires ?

Nous ne connaissons en définitive des images que l’enfermement auquel elles nous assignent et nous nous retrouvons prisonniers de nos visions au milieu de nulle part. Comme Sade emprisonné libère et projette ad infinitum le monstrueux spectacle de ses fantasmes, nous poursuivons notre liberté perdue dans un récit qui nous échappe. Nous oublions ce que nos écrans doivent aux murs. Ces images qui nous sautent à la gorge, Nous en sommes dans une large mesure les co-producteurs et non les voyeurs contraints. Elles viennent de nous et prennent source dans notre délectation morbide. AU milieu de ces visibilités étales, dans le silence de la vision, Nous sommes le texte.

La seule place que la société ait fournie à nos esprits n’est-elle pas précisément Cette prison dans laquelle nos regards se tiennent, rejetés et enfermés dans l’image par l’image même, de telle sorte que nous nous trouvions aujourd’hui abîmés en elle ? Le lieu séparé, plus libre et plus honorable, où nos regards nous placent, où le pouvoir des images situe ceux qui ne sont pas avec elles mais contre elles, mais aussi la seule demeure où puisse résider avec honneur un homme libre, c’est le réel ou plutôt le désert auquel il fait place.

Dans cet emprisonnement délectable où nous jouissons d’une liberté paradoxale, nous ne voulons pas tant être libérés que compris. C’est peut-être là d’ailleurs que commence notre asservissement visuel. Etre compris par les images signifie les rejoindre, donc renoncer à cette extériorité qui était la condition même de la critique. Notre volonté n’était pas engagée dans la prison où nous tenaient les images. Elle est anéantie par le désir d’être compris.

L’image fait aujourd’hui la guerre au réel qu’elle était censée documenter. Quand elle gagne, elle prend le pouvoir sur ce qu’elle montre. Elle nous impose une histoire déjà cadrée et son autorité est totale puisque n’est vrai que ce qui est vu par elle. A quoi sert le témoin quand l’image est témoignage, sinon à légender ce qu’elle montre déjà ? Nous sommes dans une large mesure pris en otages par ce que nous voyons aujourd’hui, car notre regard est dirigé et notre opinion construite. un choix a été fait en amont de notre regard entre ce qui est montré et ce qui est soustrait à notre expérience sensible du monde et nous sommes emprisonnés dans ce choix. Cette fragmentation du visible, cette condamnation au détail en gros plan, qui rend presque impossible toute perception raisonnée mais aussi toute reconstitution du corps visible et désirant, relève de la pornographie.

Libérer le regard reviendrait à reconnecter les prisonniers que nous sommes avec le reel, à rompre notre isolement dans l’image en rétablissant des correspondances entre les regards et les choses. Il s’agit de dézoomer, d’élargir le cadre, trouver une distance aimante avec la chose vue et quitter ainsi la pornographie pour revenir à l’érotisme.

Les ophtalmologistes, en étudiant les scotomes, ont découvert un phénomène étonnant appelé rétinotopie. Selon les observations qu’ils ont faites, le monde visuel est systématiquement cartographié à la surface du cerveau. A chaque point du cortex correspond un point du champ visuel, de telle sorte que la topographie du cortex suit celle de la rétine où se forme la première image neuronale du monde extérieur. C’est comme si nous avions trouvé un tunnel pour nous echapper de la prison des images ; mais de quelles images voulons-nous vraiment nous libérer ? de celles qui naissent à la surface de notre cortex, ou plutôt de celles qui s’imposent dans le champ limité de notre vision ?

Sergueï Wolkonsky, 2011.


OPEN FRAME II

Sergueï Wolkonsky

Second mouvement, du 22 avril au 12 juin 2011

Commissariat : Joerg Bader, Directeur du Centre de la Photographie à Genève.
Commissaire associée : Noëlle Tissier.

CENTRE REGIONAL D'ART CONTEMPORAIN LR - 34200 SETE